Les aventures du petit horloger – 19
Le Japon, l’archipel le plus à l’Est et sans aucun doute le plus décalé par rapport au reste de l’Asie. Le plus frappant à notre arrivée à Tokyo est le silence qui y règne, le traffic des voitures génère très peu de décibels et même en plein centre ville, pas un seul coup de klaxon ni même un éclat de voix. Les japonais font preuve d’une discipline sans égale, idem dans le métro, pas d’échanges ou très peu, par moments j’ai même l’impression d’évoluer au milieu de zombies. Et pourtant dès qu’on s’adresse à eux ils deviennent tout sourire et presque chaleureux, pas vraiment English friendly ils s’évertuent à vous parler dans leur langue tout en multipliant les révérences, une attitude drôle et intriguante à la fois.
Un premier Airbnb choisi au hasard nous amène à découvrir le quartier du Skytree, une tour panoramique qui nous permet d’apprécier l’immensité de la ville d’une superficie de 2000 km, 20 fois Paris. Il doit y avoir des montres de partout ! A commencer par celles du musée Seiko à 2km de là, non pas la totalité des Seiko produites sont visibles ici (3 étages ne suffiraient pas) mais les principales, en particulier les modèles qui ont marqué un tournant dans l’histoire de la marque et dans le vaste monde de l’horlogerie. Des répliques de mouvements suisses à ses débuts, la marque à su évoluer et faire preuve d’innovation ou d’amélioration de systèmes existants au cours des décennies qui ont suivi : quartz analogique puis quartz lcd à 6 chiffres, et par la suite kinetic et springdrive, techniques pour lesquelles la paternité ne se discute pas. Seiko a su conquérir le monde grâce à une communication efficace basée sur la modernité, un rapport qualité prix intéressant, des techniques de fabrication à la pointe, en bref une institution nippone qui force l’admiration.
Là où les japonais sont plutôt doués aussi, c’est en termes de gastronomie, la ville compte 200 restaurants étoilés Michelin ce qui porte à croire que la barre est placée haute. Nous allons le vérifier facilement, d’un établissement à l’autre les produits cuisinés sont toujours frais et la radioactivité insipide ! Plus sérieusement la qualité de service se retrouve à tous les niveaux, accueil, propreté, ponctualité des transports, raffinement… . Je souligne d’ailleurs que le tokyoïte moyen est toujours bien apprêté et visiblement exigeant sur le choix de ses accessoires. A savoir que les montres des japonais, même anciennes, sont le plus souvent dans un état nickel chrome. Une conversation avec un horloger modeur du quartier de Ueno (cloud cafe) me permet d’apprendre beaucoup sur cette tendance : il y a encore vingt ans le collectionneur japonais appréciait que sa montre porte sur elle les stigmates du temps, patine du cadran et rayures deci delà. Mais aujourd’hui la majorité de la clientèle du vintage souhaite du vieux à l’apparence du neuf. Et pour répondre à cette demande sont nées les pièces génériques dites aftermarket : bracelets, carrures, faux cadrans ou refaits, aiguilles et couronnes neuves appliquées sur la base de calibres d’origine, en clair seuls les mouvements sont authentiques. Mon homologue est honnête (japonais), et m’indique que toutes ses Rolex dans la tranche des 2000/2500 euros en sont. Les mêmes que j’avais vues dans des shops spécialisés de Hong Kong et proposées comme des produits originaux. Ces Rolex vintage trop parfaites, je les ai toujours évitées, et jusqu’ici je pense avoir bien fait. Pour ce qui est des autres, elles sont vendues à des prix stratosphériques, comme pour les vintage en général, bien au dessus des tarifs constatés sur Ebay. Une visite de la boutique CTI watches, dans le quartier de Ginza confirmera ce phénomène. Parmi les montres de ce shop, pour la plupart surrévaluées à mon goût, une superbe Bulova Spaceview sort du lot. Intéréssé je demande au boss si son prix comprend les taxes, par chance il interprète ma demande comme un souhait de ristourne et baisse spontanément le prix de 6000 yen. A 350 euros elle prendra place à mon poignet.
Mon petit doigt me dit qu’il serait bon que je me tourne vers les pawn shops. Car il y en a beaucoup à Tokyo, de la petite boutique qui jouxte l’épicerie de quartier aux grandes chaînes, c’est vraiment pas le choix qui manque. Après comparaison des tarifs sur une semaine je peux me permettre de dresser un premier bilan, et la chaîne de magasins Daikokuya ressort nettement vainqueur. Ils sont les moins cher (de 20 à 50% selon les modèles) et les articles de seconde main qu’on y trouve sont dans un état irréprochable, comme neufs, je suis stupéfié ! A Roppongi je craque pour une Speedmaster reduced 35.010 de 1991, en parfait état pour 1150 euros, exempt de taxes. A Shinjuku c’est une Alpina Seamonster sur laquelle je vais jeter mon dévolu, 420 euros avec papiers.
J’ai sorti pratiquement 1600 euros, je devrais me calmer mais la nostalgie des vide greniers français me pousse à faire un saut au Tokyo city flea market. Le hic est que j’arrive tard, trop tard, je ramasse les miettes mais ne suis pas déçu du déplacement : Omega Seamaster à bumper des années 40, Orient Seven Star compressor gros diamètre et quelques pièces originales comme ce chrono à main Seiko à la fréquence rapide. Je vais les acheter à prix correct sans trop de négociation possible, tout simplement car ça ne se pratique pas au pays du soleil levant. Au risque de passer pour un sauvage j’ai tenté et obtenu un peu, mais sans jamais insister de peur de me voir refuser la vente. On est bien loin des usages de chez nous où pour certains marchander est un vrai sport, et où la notion de respect et du travail de l’autre est vite oubliée dès qu’il s’agit de profit