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C’est pas le Pérou – 9

Mar 29, 2022

Les aventures du petit horloger – 9
 
Lima, capitale du Pérou. Très mauvaise première impression à la sortie de l’aéroport, l’environnement est des plus moches, il n’y en a que pour les briques rouges, mal posées et salies d’une pollution orchestrée par les milliers de bus et taxis épaves qui sillonnent la ville H24. C’est ça le Pérou ? Sérieux ? Pour rajouter au tableau notre auberge de jeunesse ressemble à une prison, pas de fenêtres, la peinture se décolle des murs et des écriteaux sous chaque pilier porteur indiquent où se réfugier en cas de tremblement de terre, fréquents ici. Un enfer dont il va falloir s’extraire et vite ! Chacun de notre côté ma femme et moi se ruons sur nos claviers pour trouver district plus hospitalier. Elle, se concentre sur les avis de voyageurs. Et moi, sur les lieux de chine bien sûr ! Au bout d’une heure on en arrive à la même conclusion, sur les 43 districts de la ville seuls 4 sont valables, Miraflores en top position. Un quartier considéré comme touristique, plus ou moins calqué sur le mode de vie occidental, pas vraiment ce que nous étions venu chercher au Pérou… . La plage est un spot à surfeurs, et sur l’avenue qui borde la falaise se dresse un ensemble d’immeubles modernes du pied duquel les parapentistes se jettent. En arrière plan de cette carte postale une artère commerciale longue de 3 km, et à son bout vers la droite, l’avenue de la Paz, mon repaire.
 
J’arrive un dimanche, une quinzaine de bijoutiers spécialisés dans l’achat/revente s’offrent à moi. Je pars en repérage. Toutes grilles closes sauf un, Alexis, plus brocanteur que marchand de montres, un copier coller de ces vieux marchands niçois grande gueule version Péruvienne. Prétend être spécialiste Rolex alors qu’il n’a qu’une fake en vitrine. En revanche dans son fouillis de marchandises il y a une Citizen Bullhead et une Seiko grand diamètre qui me plaisent bien, il a l’air de s’étonner que je m’intéresse à elles jusqu’à ce que je lui dise être horloger réparateur français. J’aurais peut-être pas du, en fait j’en sais rien, toujours est-il qu’Alexis est gourmand et pense à mes sous d’européen, me réclame 800 Soles pour la Bullhead dont le traitement Pvd noir est parti de partout, et 600 pour la Seiko, bien trop chère, mais c’est sur celle-ci que je vais me concentrer afin de remporter la mise à 400 Soles, 100 euros. Je m’empresse de la réviser depuis notre chambre d’hôtel, constate la robustesse du mouvement, pas de pièce plastique fragile comme on en voit sur les Seiko plus récentes. Mais bizarrement le passage de date ne se fait pas et bloque carrément la marche de la montre, j’ai pas été foutu de m’en rendre compte avant achat je m’en veux grrrr… . Heureusement rien n’a l’air cassé et je m’aperçois sans peine qu’un ressort du doigt entraîneur de disque de date avait été monté à l’envers. Une recherche rapide sur internet me donne la date du modèle, 1969. Avec son diamètre de 38mm hors couronne et son cadran anthracite du plus bel effet, je me dis avoir fait une première bonne pioche.
 
Lundi. J’attendrai patiemment 11h00 pour que l’ensemble des boutiques ouvrent. C’est que les Péruviens ne sont jamais pressés de rien, c’est une constante de leur caractère je dois m’y faire. J’enchaîne les vitrines, il y a un peu de tout, les grandes marques côtoient les plus populaires telles que Silvana, largement distribué ici, Altimatic (emboîteur américain qualité kif-kif Sicura) ou encore cette vieille Invicta en forme de stade de foot qui m’attire à l’intérieur de la boutique d’un certain Carlos, personnage plein d’histoires. A commencer par celle de son Invicta, modèle rare et ancien à mouvement Fhf auto développé pour les arbitres de la coupe du monde Argentine de foot 78. Son enfance aussi, passée à contrefaire des cadrans avec son père, une spécialité très répandue en Amérique du Sud, et pour finir son premier joint fumé avec Mick Jagger et Klaus Kinsky lors du tournage de Fitzcarraldo à Iquitos alors qu’il était jeune figurant. Dingue ! Comme les 350 dollars demandés pour l’Invicta, je passe… . La relojeria suivante porte le nom de Juliette, tenue par Javigus, Pérouvien sympathique au profil de cadre moyen. Parce que moins volubile que Carlos c’est moi qui vais briser la glace, je lui parle voyage, découvertes horlogères, et lui fait part du regret de ne pas avoir pu trouver de Pogue en chemin, me rétorque « Seiko Pogué si si, tengo un, espera un momentito ! » et revient de son atelier avec une de ces fameuses montres symbolisant l’épopée spatiale pour 180 dollars, l’état est correct, je suis client. Deuxième bonne pioche et encore une Seiko.
 
Mardi. Je pars dans l’optique de vendre quelques unes de mes montres et me lance à l’assaut de 6 autres marchands. Temps moyen passé avec chacun d’entre-eux 30mn, muchas palabras et rien au bout du compte, ce petit monde manifeste toujours plus d’enthousiasme à la vente qu’à l’achat, j’ai l’habitude… . Je tente alors sans conviction la plus belle enseigne du quartier, Dusek, style place Vendôme. La discussion tourne court, ils veulent du prestigieux, j’ai pas. Mais j’ai bien fait de mettre les pieds dans cette boutique : en partant je demande innocemment le prix d’une de leurs belles Breitling vintage que j’imagine être excessif, et à mon grand étonnement le gars me balance 800 dollars, ce qui pour ce modèle est moins que la moitié du prix pratiqué en France. Là dessus je me dis qu’il y a un bon coup à faire, mais qu’il serait déraisonnable d’engager cette somme tout de suite sans avoir rien vendu. Je dois absolument trouver une solution, repense spontanément à Javigus avec qui le contact m’avait paru facile, retourne le voir et lui étale mes produits sur le comptoir. Il flashe sur l’Omega que j’avais achetée à Montréal, moins sur les autres. Sauf que j’ai besoin de tout refourguer et je lui fais bien comprendre. Quieres cambiar ? me dit-il. J’hésite pas longtemps, et échange l’Omega contre 2 des siennes, une Longines années 50 et une Bulova Aerojet de 1967. En contrepartie de mon geste, Javigus reprend mes montres restantes pour 450 dollars. Très satisfait de ce deal, il ne me reste plus qu’à mettre 350 de ma poche pour obtenir la Breitling repérée chez Dusek. L’affaire est faite ! En plus d’être magnifique elle intègre un mouvement parfaitement fonctionnel qui n’a rien de bricolé, le compteur de minutes affiche 45mn, la roue de compteur correspond, les aiguilles et le cadran sont d’origine, la couronne et le pont du chrono signé. Je crois que je suis chanceux !
 
Mercredi. Pensant avoir fait le tour des affaires possibles je décide de faire un break, quant Alexis, le vendeur rencontré 3 jours plus tôt me salue depuis le trottoir de sa boutique. Il vient de rentrer une Tissot et tient à me la montrer. Elle est fichtrement classe, une de ces montres robustes qui ont fait la gloire de la marque dans les années 70. A l’intérieur de cette Navigator spécial Yachting, un calibre automatique Lemania 1341, mais le sait-il seulement ? Je l’arrache pour 400 dollars sans négocier (moins que le prix normal du mouvement seul), cette pièce historique sera ma dernière bonne pioche réalisée sur sol Péruvien.
Nous quitterons Lima et son environnement ultra urbain pour nous rendre aux portes de l’Amazonie, à Tarapoto, un village surpeuplé bondé de moto taxis dans lequel je croise un énième bijoutier à l’enseigne improbable (Cartier – monsieur a du goût), dernier lien avec la civilisation avant de rejoindre Lagunas à 6h de bateau de là, sans téléphone ni eau courante, mais accompagné pour l’occasion de ma nouvelle 1341 au poignet, prêt à braver tarantulles, serpents, crocos et autres bestioles inhospitalières de la Jungle 😉
 
 

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