Les aventures du petit horloger – 15
Il fait bon vivre au Laos, assurément le pays le plus relax d’Indochine, partagé entre les ballades sur le Mekong et la vie nocturne des marchés dans lesquels je ne trouverai comme montres originales que des bracelets montre en tissu brodé. Vientiane sera toutefois l’occasion de faire une première rencontre intéressante, celle de Toui, français à la double nationalité installé ici pour assurer l’import de montres de luxe auprès d’une clientèle richissime, exigeante sur le choix des produits et désireuse de se soustraire aux frais d’importation ou autres taxes démentielles qui ont cours dans ce pays. Toui fait donc les courses de ces messieurs, et n’hésite pas à faire des aller retour en Europe pour les satisfaire, sympa le job ! Il m’avouera que 15 ans en arrière la pratique était encore différente, que les belles, Rolex ou Omega principalement, toujours en Or, provenaient de Thaïlande et qu’il les faisait ensuite certir de vrais diamants une fois sur place. Nous échangerons nos connaissances horlogères autour d’un bon repas laotien (insectes grillés inclus), lui plus axé montres modernes que moi mais avec cette passion commune pour la belle horlogerie.
A Luang Prabang, destination touristique par excellence, connue pour ses cascades et temples magnifiques, pas plus de montres intéressantes, mais un commerce d’ivoire toléré, je croise d’ailleurs beaucoup de chinois ils sont principalement là pour acheter ce type de marchandise. Pour passer ma frustration je jette mon dévolu sur les bracelets cuir ou perles de bois, tous les commerces en proposent ici. Coordonnés aux montres de petit diamètre (34mm ou moins) ils changent radicalement la présence de la montre au poignet.
Vietnam, Hanoï. Deux mois que je prépare le terrain auprès de vietnamiens anglophones grâce aux réseaux sociaux. Mon petit doigt me dit que je vais faire des affaires ici, quand j’observe les locaux je me dis que je me suis pas trompé, peu de montres Apple aux poignets, le vietnamien a du goût et mes rencontres vont le confirmer.
Dang Son et Thanh Trình sont deux jeunes marchands associés, accompagnés de la sœur de l’un d’entre eux qui joue le rôle de traductrice. Eux sont spécialisés en montres japonaises, Seiko et Citizen vintage. Parmi la trentaine de modèles présentés trois vont aussitôt retenir mon attention, une rare Citizen Jetmaster et son mouvement auto 39 rubis au rotor circulaire surprenant, une King Seiko 45-7001 à remontage manuel et un chrono 6139 Seiko connoté sport, qui par conséquent plaît beaucoup par chez nous. La Citizen (plaqué or 100 microns !) fait 350 dollars et bien que magnifique je choisis de la délaisser (je connais mal sa côte et les pièces de rechange sont rares), par contre la King Seiko m’est proposé à 200 et le chrono 180, je reconnais que c’est pas cher, néanmoins en tant que marchand je ne peux me résoudre à acheter au prix demandé, je vais donc jouer sur les détails… . La KS est très belle, le design de la boîte est renversant, le cadran est parfait et le verre est d’origine. Le seul truc qui cloche et joue sur l’intégrité du produit : aiguilles et médaillon (gold cap) ont été empruntés à sa cousine automatique, et sans jurer sur l’esthétique globale cette donnée compte pas mal dans la balance. Le chrono lui, serait parfait si les boutons de déclenchement n’étaient pas légèrement grippés (un problème mineur). Je fait bien sûr remarquer ces détails, mais les deux compères restent sur leur position, sans moufter, pas de contre arguments, rien, une technique éprouvante que je connais bien. Alors je vais faire une première offre, basse, 250 dollars pour les deux, juste pour les déstabiliser. No no no ! s’empresse de me répondre Dong… . Ce petit jeu va durer 20mn jusqu’à 300, puis jusqu’à ce que je me lève de table. On se salue, je les remercie de cette entrevue, lorsque mon interlocutrice nous invite spontanément à déjeuner ensemble. Je perçois cette action comme un geste et n’y étant pas insensible, je décide de finir sur une note positive et monte à 320, cette ultime proposition passe, tout le monde est content et nous nous retrouverons comme prévu le lendemain à la table d’un Street food, discutant de tout sauf de montres.
Hanoï est une ville surprenante par son dynamisme, je mets quiquonque au défi de me trouver un local inactif, et il en va de même pour les achats/vente de montres anciennes, Hanoï regorge de collectionneurs, suffit de se rendre dans une brocante pour s’en apercevoir, les 3/4 des stands sont dédiés aux montres. Nostalgie des temps passés, les modèles russes du soviet suprême (Poljot, Luch, Raketa, Slava) sont à l’honneur et composent le tiers des stocks. Pour le reste des montres suisses dont les Viêt raffolent, Omega, Longines, Hamilton, Gruen, Vulcain, Wittnauer, sans compter les Seiko, Orient à gogo, de beaux bracelets en croco véritable, et des montres militaires… . Aucun doute sur l’authenticité de ces dernières, elles sont fausses comme la plupart des montres militaires vendues dans le pays (les vraies ont déjà été exportées il y a bien longtemps). Et pour le vérifier inutile de les ouvrir, exemple sur une Omega de la Raf 1953 vue sur un stand tenu par un pseudo vétéran de la guerre, la boîte est neuve sans aucune rayure, le cadran aussi, impossible pour une vintage de 60 ans, et les aiguilles, neuves aussi, sont typiques des productions Hanhart ou Glasshutte destinées à la Luftwaffe, encore plus impossible ! Je déniche un peu plus loin un modèle faisant écho à la guerre du Vietnam, dans le style des Benrus. Le gars m’assure qu’elle est vraie, j’aquiesce avec un grand sourire qui en dit long. On a là un cadran siglé US Navy New York, ça part mal les montres militaires ont toujours des cadrans stériles, ensuite le fond est gravé de la mention WWW (symbole de l’armée britannique) ça colle pas non plus ! Quant au boîtier, il m’a tout l’air d’être fait de fonte d’aluminium, dans son ancienne vie peut être une culasse de moteur Honda qui sait ? Des traces de terre glaise ici ou là rajoutent à la supercherie, l’aspect patiné des aiguilles est bien entendu artificiel, le tritium me semble être de la feuille de riz rapporté collé par dessous, et enfin le mouvement une copie chinoise de mouvment russe !
Devant tant d’efforts pour ce résultat approximatif j’ai presque de la compassion pour mon vendeur. Il a aussi une Seiko 6119-8220 dateur japonais à 2,5 millions de Dong, exceptionnellement je ne discute pas le prix mais rajoute la militaire par dessus, je la trouve fun et originale, ses défauts lui confèrent un certain charme, le genre de celles que je ne suis pas prêt de trouver en occident, un souvenir d’artisanat local parfait pour l’horloger de passage que je suis.
Lors de mon dernier jour passé arrive un miracle, autour du lac Hoan Kiem se trouvent quelques marchands antiquaires, et dans la vitrine de l’un deux une benrus militaire DTU/2AP, authentique et datée de Juin 66, ne me restera qu’à trouver la couronne d’origine, i’m happy !