Le premier pays visité dans le cadre d’un tour du monde en famille de 11 mois.
Départ début septembre 2017
Retour fin juillet 2018
Les aventures du petit horloger – 1
La Tunisie, incluant l’île de Jerba, est un pays infesté par les montres de contrefaçon. Ici elles s’affichent de partout sans complexes, jamais cachées on les trouve aussi bien dans de petites bijouteries que dans de grandes enseignes nationales, et bien évidemment sur le bon coin local. De la Rolex Daytona jusqu’à l’Omega James Bond, en passant par ces fameuses Hublot chéries des joueurs de foot, le choix est vaste. Mettre la main sur une vraie montre vintage relève du défi.
Houmt Souk rien, pas une seule tocante valable, Carthage et Sousse rien non plus, je tente alors ailleurs, et c’est grâce à un marchand de montres croisé à Nice un mois plus tôt que je vais trouver mon bonheur. Ce marchand, à l’accent suisse mais d’origine Lybienne, m’avait dit tourner de partout en Afrique du nord pour acheter et revendre ensuite au travers des salles de ventes genevoises. Je n’ai retenu que son prénom, Kamal.
J’arrive dans Tunis la capitale ! Et là enfin je débusque un premier vrai horloger de métier, proche du marché central. Il est dans la profession de père en fils, baragouine le français, et derrière son comptoir 4 établis occupés par des employés clopes au bec. Dans cette atmosphère enfumée je distingue que chacun a un cendrier posé à même son établi, juste à côté de montres en pièces. On est loin des standarts de propreté helvétiques ! Lui dis-je. Il en rigole et dans la foulée je lui parle de mon goût pour les objets vintage. Pas de réaction de sa part. Et puis j’évoque mon ami marchand, Kamal. C’est le déclic. Toi tu connais Kamal qu’il me dit ? De là il décroche son vieux combiné… . Dix minutes plus tard arrive un jeune prénommé Wahid, neveu du patron. Il sera désigné pour me diriger dans la Médina, le coeur historique de Tunis.
Nous sommes dans un véritable labyrinthe, déjà arpenté la veille mais sans succès. Il regorge en fait de montres bien dissimulées dans des coffres ou tiroirs d’arrière boutiques, principalement des bijouteries. Première halte face à une vitrine clinquante chargée de bijoux or 9K : on me propose quelques montres de luxe en super état mais toutes à quartz, je fais comprendre à mon guide que cette gamme ne m’intéresse pas. Chez le marchand suivant je découvre posé sur le comptoir une Rolex Datejust des années 70, pas d’aiguilles, verre défoncé, cadran ok et masse bloquée, le prix l’équivalent de 900 de nos euros. Puis une Chopard Mille Miglia en bon état extérieur mais dont l’amplitude du balancier laisse à désirer, 800 euros, bref des montres authentiques oui mais jamais prêtes à porter, un poil trop cher et non négociables. J’ai le sentiment que ces autochtones me voient comme un américain, du temps où ces derniers venaient acheter en masse chez nous quand le dollar était au plus fort.
Après une bonne heure de marche Wahid me conduit dans une vieille échoppe poussiéreuse et mal éclairée. Des notes de thé à la menthe flottent dans l’air. C’est le capharnaüm complet, et mon instinct me dit que je suis au bon endroit. J’ai affaire à une sorte de broc local en tenue traditionnelle, très souriant et sachant mettre à l’aise. Le thé nous est offert. Après quelques bavardages il me sort un carton de derrière un rideau. C’est un fond d’horlogerie, dedans une trentaine de pièces vintage qui me sont familières. J’en vise 22 mais on est pas d’accord sur le prix, la négociation s’éternise et je suis pas habitué, Monsieur est trop gourmand ses tarifs frôlent ceux pratiqués sur sol Européen. Alors pour conclure je ne sélectionnerai que 14 pièces pour atteindre la somme que jétais prêt à débourser, 700 euros. Parmi elles j’ai flashé sur un magnifique chrono Valjoux 234 gravé Darwill, ce même mouvement est monté sur une des 2 versions de la Tudor Monte Carlo des années 70, un qui je sais valoir plus de la moitié des 13 autres. Pour le reste une Zénith Port Royal, divers calibres Landeron 48, un Eta 2824/2, un Valjoux 7734, un Poljot 3133, deux Fe4611, un Tissot, un beau calibre Bulova à trotteuse centrale, ainsi que 2 boîtiers neufs et cadrans chronographe suisse pour Venus. A première vue l’état général des mouvements semble bon, et puis dans le métier que j’ai choisi, avoir du stock de pièces détachées est primordial. Wahid sera bien sûr remercié d’un billet il l’a bien mérité.
Au travers des échanges que j’ai pu avoir j’aurais appris plusieurs choses :
1 – La notoriété de Rolex, en Tunisie comme dans les pays du Maghreb, s’est construite au travers de la contrefaçon de la marque, car les fausses de là-bas sont bien plus répandues que les vraies, et ce depuis le début des années 80.
2 – Parmi les horlogers rencontrés, deux d’entre-eux m’ont avoué n’utiliser qu’une seule huile, et ne parlons même pas des chronocomparateurs, peu en possèdent ou n’en connaissent même pas l’existence. Pour exemple mon guide m’a dit que son job du quotidien consistait à changer des piles et à régler les montres mécaniques des clients de son oncle. Il en portait d’ailleurs deux à chacun de ses poignets, il relève l’heure en début et à la mi-journée avant de procéder à une retouche définitive de la raquette en fin de journée, et basta cosi ! En clair de l’horlogerie approximative. Mais après tout comment faisaient nos horlogers il y a 100 ans ? le chrono comparateur n’existait même pas ! Les tunisiens eux font ce qu’ils peuvent avec ce qu’ils ont, pas de quoi les blâmer bien au contraire. Si ce n’est que les pièces bricolées sont fréquentes, chose qu’on peut difficilement éviter dans ce royaume de la débrouille.
3 – Parce-qu’internet est aujourd’hui accessible de partout, nos amis maghrebins connaissent plutôt bien les prix des montres vintage pratiqués en Europe, leur acheter une montre au dizième de sa valeur est devenu impossible, et puis n’oublions pas que la négociation est presque un sport national ici !