Les aventures du petit horloger – 6
Dix jours à San Francisco me permettent d’explorer la ville de long en large. Dans le lot des merveilles je découvre un musée dédié aux jeux anciens, flippers des sixties et autres automates aux mécaniques qui me sont familières. 90% de ces vieilleries sont fonctionnelles, j’adore ce lieu et pourrais le squatter une journée entière.
Côté montres je m’estime « repu » de mes derniers achats, il est temps de penser à vendre tant que je suis sur le sol américain, j’obtiens 270 euros d’une montre originale de marque Pierre Nicol calibre 3133 achetée 320 dinars en Tunisie, l’expédie via Usps pour 38 dollars assurance incluse. Elle rejoindra son acquéreur italien sans encombres 6 jours plus tard, suis satisfait.
Le road trip se poursuit en voiture de loc tout le long de la côte pacifique vers le Sud (Big Sur), les falaises sont à pic, le panorama grandiose, on en prend plein les mirettes, et plutôt deux fois qu’une puisqu’à la moitié du trajet nous sommes contraint de faire demi tour face à un éboulement gigantesque, z’auraient pu nous prévenir avant non ? Je me dis que ce temps perdu j’aurais pu l’investir à Monterey, mignonne ville portuaire dans laquelle nous n’avons fait que passer parce que pressés, néanmoins pourvue de 8 pawn shops dédiés bijoux, numismatique, et donc forcément montres.
Pas trop grave en soi, un nouvel objectif chasse le précédent : un ami m’a évoqué la possibilité de collecter de la jade à l’état brut à Jade Cove Beach, à mi parcours entre Carmel et Morro Bay, sauf que ce plan en apparence super excitant s’avère finalement être un gros ratage. En effet pour accéder au spot il faut descendre à pied le long de la falaise escarpée pendant 2km, j’y renonce pour des questions de sécurité, ni moi ni femme ni enfants ne sont équipés pour une telle expédition, de plus la fatigue pointe son nez, la fin de journée approche et l’urgence est de trouver de quoi loger pour la nuit.
Le lendemain nous traçons notre route vers Santa Barbara, le paradis du fun comme on l’imagine, un soleil radieux, des palmiers géants, beaucoup de jeunes, un grand skatepark en bord de mer, le surf… . Et une très belle boutique d’antiquités sur l’avenue principale, tenu par un couple de cinquantenaires soignés aux crèmes antirides. Très drôles tous les deux on les croirait tout droit sortis d’un plateau de cinéma. Elle, ressemble à Liz Taylor avec sa jupe crinoline et son bustier avantageux, et lui à Groucho Marx, à la différence que lui est habillé d’une classe remarquable, cheveux blonds gominés, moustache stylée et noeud pap sur veston rétro en daim. On dit souvent que l’on achète d’abord son vendeur plutôt que le produit, cet adage se vérifie ici. Liz s’avance vers moi, son seul regard me fait fondre littéralement, je ne sais même pas encore ce que je vais acheter mais elle va me le vendre. Dans la quantité d’objets présentés, une montre me plaît, et encore une Elgin, décidément ! Plus vieille que celle dénichée à SF, années 30 je pense. Son verre de forme minéral bombé comporte de fines rayures masquant la marque, j’estime pouvoir le ravoir facilement. En manipulant la couronne je constate que le cran de mise à l’heure n’est pas franc, je diagnostique un frein de tirette à coup sûr légèrement dévissé. Quant au mouvement sa marche me semble correcte, rien à dire de ce côté là. Par contre elle est vendue montée sur un bracelet métal dame très fin, façon gourmette de petite fille, et bien ajusté à la carrure, très curieux. Curieux car un boîtier de cette taille produit dans l’entre deux guerres ne peut être que masculin. Possible que cette montre ait été adaptée au poignet d’une veuve, en souvenir d’un défunt mari victime du krach boursier de 1929 ! Après tout peu importe, cette montre a du potentiel, mon œil entraîné vise un 20mm d’entre cornes, le seul changement du bracelet lui donnera une toute autre allure.
Liz n’est pas spécialiste, je m’en doutais un peu, m’annonce un 40 dollars assorti d’un sourire Ultra Brite ravageur, comment refuser une offre pareille ? La transaction faite je désemboîte le mouvement à la terrasse d’un café, un poinçon white gold filled 14K apparaît dans le fond, m’éblouit presque, moi qui croyait à un chromage épais ! le générique du feuilleton Santa Barbara chante alors dans ma tête… .