Les aventures du petit horloger – 5
Se déplacer de Denver jusqu’à San Francisco à bord du California Zephyr est à mon avis une des meilleures alternatives. Ce train panoramique permet de s’en mettre plein les mirettes, les paysages s’enchaînent et ne se ressemblent pas, j’ai l’impression de traverser une carte postale qui n’en finit plus. Je réalise qu’après 14000 km de voyage à mon poignet, ma fidèle Polerouter se porte bien. Mes collègues horlogers m’avaient pourtant conseillé de partir poignet nu « tu trouveras bien des montres sur ta route » qu’ils disaient. Évident dans un sens, et par ailleurs inconcevable. Une montre est un peu le grigri que l’on emporte avec soi il m’en fallait absolument une ! N’ayant pas été capable de me décider entre la cinquantaine de vintage restantes dans mon stock, j’ai finalement opté pour la dernière chinée 10 jours avant mon départ de France. Achetée 400 euros dans un état général moyen, mouvement ok à réviser, cadran patiné légèrement tropicalisé magnifique mais tube de couronne absent, verre d’origine rayé et de travers, en plus de 2 pièces du mécanisme de date manquantes. J’ai relevé le défi de la remettre en état dans le temps imparti, au milieu de préparatifs d’un tour du monde en famille qui allait durer 11 mois. Et c’est Ebay, mon terrain de jeu favori qui m’a une fois de plus sauvé la mise, un vendeur du Kentucky disposait de pièces neuves pour mon mouvement première génération de 1957, le 215/1, une forme de providence… . L’histoire de la Polerouter (dédiée à la compagnie d’aviation scandinave SAS) symbolise le voyage, ça me va bien. Cette montre est reconnaissable au premier coup d’œil, avec sa carrure si particulière désignée par Gérald Genta alors qu’il n’avait que 20 ans.
San Francisco, j’y suis ! Une ville exceptionnelle également chargée d’histoire, port d’entrée aux States pour tous ceux qui arrivaient d’Europe et souhaitaient se rendre en Californie pour y faire fortune. De l’or, je suis bien décider à en trouver moi aussi, mais je vais sacrément lutter pour ça, San Francisco ne regorge pas de montres car peu d’horlogers spécialisés, ou sinon très chères comme celles que j’aperçois chez Tourneau. Je tente alors les Pawn Shops, Google maps m’en situe un sur la 6th, perpendiculaire à Market Street, l’avenue principale face à l’embarcadère des Ferry. Au final ce sont 3 pawn shops qui se trouvent sur le trottoir gauche de cette rue, mal famée cette rue, des sdf crackés gisent au milieu de trottoirs, des poubelles éventrées de partout, une black défoncée qui manque de m’agresser bref la zone complet. Pour couronner le tout les enfants sont avec moi, je regrette déjà de les avoir embarqué dans cette galère. Je me réfugie dare dare dans le premier pawn, un bazar pas possible, rien n’a l’air organisé, on y voit des tronçonneuses mélangées aux guitares parmi de vieilles fringues trouées. Et des montres vintage de seconde catégorie poussiéreuses et pourries, super chères pour ce qu’elles sont, je fuis et me réengouffre rapidement dans le suivant pour faire à nouveau chou blanc. Le troisième Pawn Shopest à peine mieux achalandé mais je m’y sens plus à l’aise. A l’entrée un vieillard en guise d’agent de sécurité. Et à l’intérieur deux autres vieux mais plus alertes, un couple probablement, très sollicités l’un comme l’autre. Devant moi s’enchaînent les transactions. Un jeune désœuvré dégoulinant de sueur propose une machine professionnelle à faire reluire les sols, l’ensemble doit bien peser 40 kg, et à mon grand étonnement le vieux rachète, dans la foulée un portoricain propose de l’or dentaire, peut-être prélevé sur un mort deux heues plus tôt qui sait ? La vieille rachète.
Arrive mon tour, je sympathise avec le couple de commerçants, on parle voyage, me parlent de l’Europe et de leur pays natal, la Grèce, puis on en arrive aux montres. Dans une des vitrines quelques vintage américaines en état moyen, pas vraiment de quoi flasher, mais dans une autre, au milieu de montres quartz minables je découvre une Elgin manufacture, un véritable coup de coeur. 900 dollars ça fait une somme. Oui mais elle est en or blanc massif 14K et le tic tac émis est impeccable. Je suis sûr que ça fait un bout de temps que cette montre est là, et si elle doit trouver nouveau propriétaire ce sera moi ! Je négocie avec le boss tant bien que mal, pendant que sa femme se comporte comme une grand mère avec mes bambins, je crois que l’affaire tourne à mon avantage… .
On finit par se mettre d’accord pour 600 dollars pas moins, je craque. Ils veulent du cash j’ai pas de cash, faut donc retirer. A 50 m je distingue un distributeur au fond d’une épicerie miteuse, le lieu n’est vraiment pas rassurant, il y a beaucoup de passage, c’est sale, étroit, de vieux néons clignotent au plafond. Et cette foutue carte Visa ne veut pas me délivrer les sous car dans le stress j’oublie le pin arghhh ! J’essaie ma deuxième carte qui veut bien me lâcher 400 dollars et rien de plus. Faut que je trouve une solution, je veux cette montre. Je retourne au pawn, 5 personnes devant moi, je trépigne d’impatience au même titre que mes enfants que je colle devant la seule télé allumée (ça aide dans ces moments là), j’explique enfin mon problème de finances au boss, et là me vient une idée. J’interpelle le fils, jusqu’ici caché derrière les rayonnages,, le gars du genre effacé face au charisme paternel. Cest sûrement un gentil, je lui demande si par hasard il dispose d’un PayPal perso et s’ il veut bien que je complète la somme par ce biais. Il n’est pas contre mais c’est bien sûr Papa qui décide, et Papa finira par dire oui, je pense pour me faire plaisir et permettre ainsi à mes kids de se sortir de ce guêpier